L’Irrecevable ou l’art sans partage. Incises dans l’esthético-politique (8/8)
17 juin 2021
séminaire en ligne
avec
Marc Goldschmit, président et directeur du Collège International de Philosophie
Carole Talon-Hugon, professeure de philosophie à l’Université de Paris-Est Créteil
L’art n’est pas seulement constitué d’œuvres, mais aussi de discours, de concepts ou de textes destinés à l’appréhender, ainsi que d’affects, de sentiments, de jugements et de pensées qu’il suscite ou contient de manière immanente à ses gestes. Si les œuvres et les gestes d’art constituent des blocs ou des événements de pensée sensible, on peut aussi soumettre à l’examen critique les multiples signes historiques d’une avancée de l’esthétique et d’un retrait de l’art. L’appropriation de l’art par l’esthétique et la transformation de l’esthétique (du beau et du goût) en expérience « aisthétique » se sont achevées avec la dé-définition de l’art et l’artialisation des dispositifs et installations extra-esthétiques.
Ce mouvement d’hégémonie de l’esthétique et de dissolution de l’art est inséparable de l’appauvrissement de l’expérience et de la désaffection de la sensibilité. Le romantisme allemand a constitué une réponse désespérée à cette désolation de l’existence et à la désorientation des vies à l’ère de la technique et du Capital, une tentative de cicatriser toute césure de l’histoire par une esthétique de l’absolu. Le projet wagnérien « d’œuvre d’art totale » a achevé le romantisme à travers une nouvelle religion populaire-esthétique et une représentation mythique du peuple. Le wagnérisme a représenté le passage de la politisation de l’art à l’esthétisation de la politique, que Walter Benjamin a aperçu comme l’immense antagonisme historico-politique de notre temps.
Dans l’art et la littérature la modernité est venu briser le romantisme ainsi que le dispositif esthético-politique. En faisant droit à une anesthétique du choc, du hiatus, de la blessure et de l’effraction, en temps de désaffection des sujets, l’art échappe à l’horizon de la communauté esthétique en témoignant de l’impartageable et de l’irrecevable. Il avance comme une écriture qui incise la novlangue des totalitarismes, du Capital, de la technoscience et l’industrie culturelle. Il laisse s’inscrire un écart, une béance dans l’ici et maintenant communautaire-esthétique.